"L’Abrazo por la Paz" : une réconciliation maçonnique en mémoire de l’histoire (15/06/2025)
"L’Abrazo por la Paz" : une réconciliation maçonnique en mémoire de l’histoire
Par Paolo Denis
Par-delà les blessures de l’histoire, un geste fraternel s’est imposé à Corrientes, sur les rives du Paraná, en ce mois de juin 2025.
Les 30 et 31 mai 2025, la Franc-Maçonnerie organisait diverses activités à Corrientes pour commémorer la fin de la guerre connue sous le nom de "Guerre de la Triple Alliance", qui impliquait les États d'Argentine, du Paraguay, du Brésil et d'Uruguay.
Un « Abrazo por la Paz » (accolade pour la paix) entre francs-maçons argentins et paraguayens, unissant les membres du « Cercle de la Fraternité Argentina-Paraguay » en un acte symbolique fort, a rappelé que le dialogue et la fraternité peuvent prévaloir sur les cicatrices du passé.
Le président de la Grande Loge Symbolique du Paraguay, José Miguel Fernández Zacur, accompagné d'une importante délégation en provenance d'Asunción, a été reçu par son homologue de la Grande Loge Argentine des Francs-Maçons Libres et Acceptés, Pablo Lázaro, ainsi que par des Francs-Maçons argentins.
Les événements « Embrace for Peace » ont été déclarés d'intérêt législatif par l'honorable Sénat de la Province et visent à analyser objectivement les événements historiques, en soulignant la nécessité de la paix et de la tolérance comme valeurs fondamentales nécessaires au progrès des sociétés.
La première rencontre eu lieu à Punta San Sebastián, sur la côte de Corrientes, à 16h00, le vendredi 30 mai 2025, où Lázaro et Fernández Zacur se sont embrassés dans une étreinte symbolique, représentant les bonnes intentions des différents peuples.
Le samedi, l'activité s'est poursuivie par une visite de la ville de Riachuelo, où s'est déroulée la célèbre bataille navale. L'après-midi, une conférence fut donnée par les historiens paraguayens Fabián Chamorro et Jorge Deniri, président du Conseil d'histoire de Corrientes.
Enfin, les responsables réguliers de la Franc-Maçonnerie des deux pays ont rencontré les autorités locales et se sont adressés à la presse après la présentation, le samedi 31, à 18h30 au 25 de Mayo 1429, siège de la Fédération Économique de Corrientes.
155ème anniversaire de la « Guerre Guasú »
1. Une guerre fratricide : la Guerre de la Triple Alliance
Entre 1864 et 1870, l’Amérique du Sud fut déchirée par l’un des conflits les plus sanglants de son histoire. Le Paraguay, dirigé par le maréchal Francisco Solano López, entra en guerre contre la Triple Alliance formée par l’Argentine, le Brésil et l’Uruguay. Les causes du conflit furent multiples : ambitions géopolitiques, pressions britanniques sur les voies fluviales, tensions commerciales, et le nationalisme expansionniste du gouvernement paraguayen.
Le conflit se solda par une catastrophe humaine et politique. Le Paraguay perdit plus de la moitié de sa population, dont une immense partie de sa population masculine adulte. Le pays mit des décennies à se relever. La guerre laissa aussi de profondes cicatrices dans les relations entre les peuples voisins, notamment entre Paraguayens et Argentins.
2. La franc-maçonnerie comme vecteur de réconciliation
Dans ce contexte chargé de mémoire, l’acte posé par les francs-maçons à Corrientes prend tout son sens. La franc-maçonnerie, universelle dans ses principes, se veut vecteur de dialogue, de fraternité et de paix entre les peuples. Elle dépasse les clivages partisans ou géopolitiques, et œuvre à reconstruire les ponts là où l’histoire les a rompus.
L’initiative du Cercle de la Fraternité Argentina-Paraguay — portée par les Grandes Loges de l’Argentine et du Paraguay, avec le soutien des loges locales de Corrientes et d’Encarnación — rappelle que les valeurs maçonniques de tolérance, de vérité et d’universalité sont des fondements puissants pour penser un avenir commun dans la région.
3. Le rôle des femmes paraguayennes : héroïnes de l’ombre
Face à l’effondrement du tissu social masculin, les femmes paraguayennes prirent une part essentielle dans l’effort de guerre et la survie nationale. Elles :
- cultivèrent la terre,
- élevèrent seules leurs enfants,
- contribuèrent à financer l’armée en offrant leurs bijoux,
- combattirent parfois au front,
- et résistèrent, souvent seules, aux atrocités de l’occupation.
Un témoignage artistique bouleversant de cette réalité est le célèbre tableau La paraguaya, peint par le maître uruguayen Juan Manuel Blanes (1830–1901). Cette œuvre dépeint avec une force saisissante une femme solitaire, debout dans les ruines fumantes de la guerre, portant un enfant dans les bras, le regard vidé. Elle incarne la dignité silencieuse de tout un peuple dans la défaite.
4. Reconstruction du pays
Après la guerre, avec une population masculine presque exterminée, les femmes furent les protagonistes du repeuplement national. Elles eurent de nombreux enfants — souvent sans partenaire stable — et dirigèrent des foyers monoparentaux. C’est à partir de leur résilience que la structure sociale du Paraguay fut reconstruite. Elles incarnèrent l’espoir d’un pays brisé.
5. Le symbole d’un avenir commun
En s’embrassant fraternellement dans une ville frontière comme Corrientes, les maçons n’ont pas seulement posé un geste symbolique. Ils ont réactivé une mémoire transnationale qui relie les peuples du Río de la Plata, du Paraná et du Paraguay dans une même destinée continentale.
Cet événement pourrait inaugurer une série d’actions maçonniques binationales dans les années à venir : échanges culturels, travaux de mémoire, projets éducatifs conjoints… Un espace de dialogue s’ouvre dans l’esprit de la reconnaissance, et non de l’oubli.
Car se souvenir, ce n’est pas raviver la haine ; c’est offrir un cadre pour la compréhension, le pardon et la paix.
15:07 | Tags : paolo denis | Lien permanent | Commentaires (0)