La pierre brute : quand franc-maçonnerie et soufisme se mettent en résonance (25/10/2025)

lumieres de carthageEt si un simple symbole pouvait relier deux univers spirituels différents  ?

Entre souvenirs familiaux et initiation maçonnique, cette planche explore la puissance de la pierre brute, miroir d’un même cheminement : se transformer, se purifier et tendre vers une humanité plus juste et plus lumineuse.

Lors de notre premier entretien entre apprentis avec notre TCS second surveillant, j’ai fait une relation presque  immédiate entre le monde de la franc-maçonnerie et celui des Zaouïas. La Zaouïa (zawiya) est une institution  religieuse islamique, souvent associée au soufisme. Elles servent de centres pour les confréries soufies  (turuq), lieux de retraite et de transmission du savoir. Le Soufisme est une dimension mystique de l'islam, une  voie spirituelle qui vise à purifier le cœur, à se rapprocher de Dieu et à atteindre l'union avec le divin.

J'ai été touchée de découvrir que les symboles jouent un rôle central dans l’enseignement et la transmission  des valeurs dans les deux traditions. Parmi ces symboles, la pierre brute occupe une place primordiale, tant  dans les premiers degrés maçonniques que dans la Zaouïa Cheikh al Missoum, située à Médéa, dont ma  grand-mère faisait partie et dont mon grand-père en était d'ailleurs le muezzin. C’est la raison pour laquelle j'ai  trouvé essentiel d'établir des parallèles entre le symbolisme de la pierre brute en franc-maçonnerie et les  concepts fondamentaux de la Zaouïa que ma grand-mère m’a enseignés. Bien que les deux traditions aient  des origines et des pratiques distinctes, elles partagent des thèmes communs liés à la transformation  intérieure et à la quête d'une plus grande harmonie de l'être. 

Je me suis particulièrement concentrée sur la résonance presque immédiate que j'ai ressentie entre la pierre  brute maçonnique et les souvenirs d’enfance liés à l’histoire de ma famille, qui me sont revenus à l’esprit en la  rencontrant. Dans ma culture, qui se situe à la croisée des traditions amazigh, arabe et musulmane, j'ai choisi  de partager le premier symbole qui m’a interpelée : la pierre brute. Le terme "Amazigh" signifie « homme  libre » ou « homme noble » et est préféré à celui de "Berbère", perçu comme péjoratif (barbaros en grec  ancien signifiant « celui qui ne parle pas la langue de l'Empire »). Cette rencontre m'a permis de trouver un  centre commun, une résonance significative, qui éclaire la rencontre de mon chemin personnel et l'histoire  d'une partie de ma famille. 

Des symboles font partie des outils les plus communément utilisés par les traditions spirituelles, car travailler  sur le symbole repose sur une expérience immédiate. C’est ainsi que j’ai constaté que la puissance du  symbole opère. En Franc-maçonnerie, la pierre brute représente l'état initial de l'initié, imparfait et qui  nécessite d’être taillé au fil du temps. Le travail sur la pierre symbolise le processus de transformation  personnelle. Il s'agit d'éliminer mes défauts et d'acquérir de nouvelles vertus. Au sein de la Zaouïa, on met  l'accent sur la purification du cœur (qalb) et l'abandon des désirs égoïstes (nafs). J'ai assisté à ces rituels dans  mon enfance, et j'ai vu à quel point le cheminement spirituel y visait à transformer l'âme pour se rapprocher de  Dieu et atteindre l'état de "l'homme parfait" (bashar kamīl). Les deux traditions exigent le même effort, la  même persévérance et la même discipline. Le mot « exercice » correspond étymologiquement à celui  d’« ascèse », une convergence très significative. 

Le dégrossissage de la pierre brute en Franc-maçonnerie implique l'élimination des aspérités et des  imperfections. Il symbolise le dépouillement des vices et des passions. Dans la Zaouïa, on cherche à se  détacher des biens matériels et des désirs égoïstes, ce qui implique également un dépouillement intérieur et  une purification du cœur. La pierre cubique, dans la tradition maçonnique, peut représenter l'état  d'accomplissement ou la perfection que l'initié cherche à atteindre. De même, le soufi aspire à atteindre l'état  de "l'homme parfait", un être réalisé qui a transcendé son égo et s'est uni à Dieu. Le travail sur la pierre brute  est un cheminement de connaissance de soi, une exploration de ses propres forces et faiblesses. De son  côté, le soufisme met l'accent sur la connaissance de soi (maʿrifat adh-dhāt), la compréhension de sa propre  nature et de sa relation avec le Divin. Ces deux traditions valorisent le silence et la méditation comme moyens  de transformation intérieure, et elles enseignent l'importance de la guidance d'un maître (Maître Maçon, cheikh 

soufi ou shaikh ṣūfī). En explorant ces parallèles, j’enrichis ma compréhension du symbolisme de la pierre  brute et j’approfondis ma réflexion sur mon propre cheminement. 

En Franc-maçonnerie, la puissance du symbole est la fondation même du travail initiatique, qui se fait par  étapes et ne délivre aucun dogme. Pour cheminer vers la profondeur de soi, chaque Sœur et Frère rencontre  tout ce qui constitue l’être humain : la raison et les concepts, l’émotion et les passions, son ego autant que son  lien avec l’autre. Il me semble que la puissance du symbole est justement capable de nous donner un moyen  de penser avec toutes les parties de notre être. Sur ce chemin, nous visons l’harmonie entre la pensée  conceptuelle et l’intuition, entre la raison et l’émotion. Je réalise combien ce travail est loin d'être évident. Pour revenir à cette phrase qui m’est chère, que me disait ma regrettée grand-mère (أله ي رحمة (: الحجرة في يد ،الباني ما تولي مسباح إال بشكوس) El-hajra fi yed el-bani, ma twali masbah illa b’chekous) « La pierre dans la main du maçon ne deviendra un chapelet que par le ciseau. » 

Aujourd’hui, après ce premier travail symbolique, je réalise combien cette phrase est riche en symbolisme  maçonnique et comment elle peut être interprétée de plusieurs manières. La pierre brute représente l'individu  dans son état initial, avec ses imperfections et ses potentialités non révélées. Elle symbolise le travail intérieur  que chaque maçon doit accomplir pour se perfectionner. Le ciseau représente l'outil de transformation, la  volonté et l'intelligence nécessaires pour façonner la pierre brute. Il symbolise le travail de discernement, de  purification et de construction de soi. Le chapelet, dans ce contexte, peut symboliser un ensemble  harmonieux, une œuvre aboutie, le résultat du travail de transformation. Il évoque aussi la spiritualité, la  méditation, et la recherche d’élévation. Cette phrase souligne que la transformation de la pierre brute en une  œuvre harmonieuse (le chapelet) n'est possible que par l'action du ciseau. Cela met en évidence l'importance  du travail actif, de l'effort personnel et de la discipline dans le cheminement maçonnique. Je comprends bien  que le maçon n’est pas passif, il est un acteur de sa propre transformation. 

En conclusion, la pierre brute incarne pour moi l'idée que chacun porte en lui un potentiel infini d'amélioration,  moi qui suis dans un processus d’amélioration continue envers moi-même et dans ma relation à l'autre. En  tant que symbole central dans la franc-maçonnerie, elle me rappelle l’importance du travail sur soi et la quête  d’une humanité meilleure, plus sage et plus juste. Mon travail d’apprentie ne fait que commencer et ne sera  jamais terminé, tout comme la pierre brute demande à être polie et taillée. Je dois constamment œuvrer pour  me perfectionner. Dans cette quête, à la recherche de la vérité, la pierre brute me rappelle que la véritable  transformation commence toujours en soi. 
J’ai dit. Kenza

Bibliographie 

 

07:19 | Tags : lumieres de carthage | Lien permanent | Commentaires (0)